NOUVEL EXTRAIT : Le loup-garou de Craôn

 

Photo tirée de Wolfman de Joe Johnston (2010)

 Saynète 3 : Le loup-garou de Craon

 Les trois fées rentrent sur scène, une bougie à la main. Le rideau reste tiré derrière elles. Leur ton restera grave et leur diction lente pendant toute la durée de leur apparition.

 Fée 1 : L’histoire qui va suivre s’est déroulée vers la fin du 18ème siècle. La nuit était tombée…

 Fée 2 : Il suffit parfois d’un rien…Le vent qui se lève…le bruissement des branches… Le hululement d’une chouette…

Fée 3 :… Et la porte de nos terreurs ancestrales s’entrebâille.

 Elles regardent brièvement derrière elles comme si elles avaient peur de quelque chose.

 Fée 1 : Des esprits malfaisants se glissent dans le monde réel…

Fée 2 : D’épouvantables créatures sortent des ténèbres…

Fée 3 : Elles  rampent… elles glissent…elles marchent précautionneusement vers nous…vers vous…

 Elles inspirent profondément et ferment les yeux.

 Fée 1 : Vous ne les voyez pas… Vous les devinez…

Fée 2 : Par le craquement des feuilles mortes sur le sol… Par le son d’une sourde respiration au cœur de la forêt…

Fée 3 : Par l’étrange et désagréable sensation d’être épié…

Fée 1 : Que dire lorsque vous percevez le poids d’un regard dans votre dos ?

Fée 2 : Et que penser lorsque vous vous retournez  et que vous n’apercevez rien … ( Elles rouvrent les yeux )

Fée 3 : Ni personne… 

 Silence

 Fée 1 : Les peurs les plus réelles restent les plus proches

Fée 2 : La peur de la bête au fond des bois…

Fée 3 : La peur du loup.

Fée 1 : Et cette peur devient plus angoissante encore …

Fée 2 : Lorsqu’elle prend à la fois visage animal et visage humain.

Fée 3 : Avez-vous peur du…

 Les trois fées se penchent vers le public et murmurent en  même temps.

 Ensemble : loup-garou ?

 Elles se redressent, soufflent leurs bougies et sortent.

Photo tirée de l'atelier-théâtre de la Doutre (2007)

Le rideau s’ouvre sur un homme assis à une table coté jardin. Les restes d’un dîner devant lui, il a l’attitude nonchalante, comme harassé après une dure journée. Il porte des vêtements propres et riches qui contrastent avec ceux de l’aubergiste qui lui apporte une carafe de vin.

 Dr de la Touchardière : Ma foi, c’était un bien bon repas que celui–ci, aubergiste.

L’aubergiste : Merci, Docteur.

Dr de la Touchardière : J’ai failli ne pas vous apercevoir sur  la route. Votre commerce n’est pas très éclairé et on devine à peine votre enseigne par cette nuit sombre.

L’aubergiste : (débarrassant la table) Pourtant…L’hôtel du Duc d’Anjou est tristement célèbre pour être proche du château de Craon.

Dr de la Touchardière : Que signifie cette insinuation ?

L’aubergiste : N’avez-vous jamais entendu parler de ce qui se passe ici ?

Dr de la Touchardière : Et que se passe-t-il ici ?

L’aubergiste : L’endroit est maudit,  Monsieur.

Dr de la Touchardière : Je suis docteur, je ne crois pas aux malédictions. La médecine est ma foi et la science est mon dieu.

L’aubergiste : Une malédiction règne pourtant sur le château de Craon. Elle fait fuir ceux qui n’habitent pas ici et ceux qui y habitent aimeraient pouvoir s’en aller s’ils avaient un endroit où aller.

Dr de la Touchardière : Mais de quoi, parlez-vous à la fin ?

 L’aubergiste regarde derrière lui comme s’il craignait qu’on surprenne sa conversation puis va s’asseoir en face du docteur.

L’aubergiste : (Sur le ton de la confidence) Toutes les nuits, une bête rôde autour du château…

Dr de la Touchardière : Quel genre de bête ?

L’aubergiste : Certainement un envoyé du Diable … Je n’ose vous parler de lui aussi ouvertement.

Dr de la Touchardière : Je suis le Dr de la Touchardière, médecin de renom et je ne crains pas le Diable. Il y a certainement un éclaircissement à tout ceci. Parlez sans crainte, mon ami. Quelle est cette bête d’après-vous ?

L’aubergiste : Un loup-garou…

Dr de la Touchardière : (Amusé) Un loup-garou ? Rien que cela ?

L’aubergiste : Docteur, vous ne devriez pas prendre ce que je raconte à la légère…

Dr de la Touchardière : Désolé mais cela me semble difficile à avaler, surtout après un repas aussi délicieux.

L’aubergiste : Je l’ai vu.

 Silence. Le Docteur n’a plus l’air aussi allègre.

Dr de la Touchardière : Vous l’avez vu ?

L’aubergiste : Oui, ainsi que ma fille.

Dr de la Touchardière : Votre fille ?

L’aubergiste : Oui ma fille…(Il appelle en se tournant à jardin) Elora ! Elora !

Une jeune femme rentre sur scène, habillé en serveuse.

L’aubergiste : Approche…et raconte au docteur ce que nous avons vu un soir près du château de Craon

Dr de la Touchardière : (la saluant d’un signe de tête) Mademoiselle…

Elora : (répondant à son salut) Monsieur… (à son père ) Vous voulez que je lui raconte ce que nous avons vu…

L’aubergiste : Oui…

La jeune femme devient nerveuse. Elle se tord les mains et on sent la peur dans sa voix.

Elora : Nous revenions, Père et moi, d’un banquet organisé. Un mariage près de Bazouges. Il était tard. Près de minuit. Nous avons arrêté notre charrette près de l’écurie. Elle est située non loin du mur est du château de Craon. …Tout à coup, nous avons entendu un hurlement épouvantable…Les chevaux sont devenus nerveux…

L’aubergiste : Oui…et puis il y a eu le bruit des chaînes dans le noir

Elora : Inquiets, nous avons rentré les  chevaux dans l’étable et lorsque nous sommes ressortis….Nous l’avons vu…c’était un…loup-garou, Monsieur.

Dr de la Touchardière : (Intrigué) A quoi ressemblait-il ?

Elora : Il était dans l’ombre et sa silhouette nous est soudain apparue au clair de lune. C’était…terrifiant. Sa tête a bougé de droite à gauche, il a poussé un cri puis il a cavalé jusqu’au château avant de tourner  et de disparaître derrière le mur nord.

L’aubergiste : Vous nous croyez à présent ?

Dr de la Touchardière : Je ne mets point en doute votre parole et encore moins celle de votre fille…mais n’était-ce tout simplement pas… un loup ?

L’aubergiste : Un loup ? ….Qui se déplacerait comme un homme ? Sur ses deux jambes …?

Elora : Le cri n’était pas celui d’un loup non plus…sans parler des chaînes…

L’aubergiste : Oui…des chaînes brisées, cliquetant au bout de ces avant-bras. C’était un loup-garou, vous dis-je ! Un envoyé du Diable…Ou une créature qui s’est échappée de l’enfer. D’ailleurs…

 L’aubergiste s’arrête et sort une montre de sa poche.

 Dr de la Touchardière : D’ailleurs… ?

L’aubergiste : D’ailleurs, il est bientôt minuit. Il revient presque chaque soir à la même heure…

Dr de la Touchardière : Quand l’avez-vous vu pour la première fois ?

Elora : Il y a trois semaines.

Dr de la Touchardière : Et depuis, il revient chaque soir, ou presque, mais ponctuel comme une horloge.

L’aubergiste : Et toujours au pied du château, les hurlements viennent de là…

Elora : L’endroit est maudit, monsieur. L’endroit est….Oh !

Un hurlement effroyable retentit à l’extérieur. Suivit d’un deuxième.

Le docteur prend une lampe à huile et son bâton de marche.

 Dr de la Touchardière : J’en aurais le cœur net.

L’aubergiste : Vous êtes fou ? N’y allez pas !

Dr de la Touchardière : J’ai pratiqué cette nuit, avant de venir ici, un accouchement difficile qui m’a plus effrayé que votre histoire…

Elora : Croyez-nous, Monsieur. Il vous tuera.

Dr de la Touchardière : Je vous crois jeune fille. Vous avez vu quelque chose. Mais si vous n’aviez vu que ce que la nuit a voulu vous faire voir  ?

 Il sort. L’aubergiste et sa fille restent pétrifiés. Un cri retentit à nouveau. La lumière s’éteint progressivement. Noir.

 Un drap noir aura été posé sur la table et les deux chaises.[1]

 Lumière feutrée. Un hurlement. Beaucoup plus proche que celui que l’on a entendu. Le Dr de la Touchardière arrive à jardin. Seule sa lampe à huile éclaire la scène. Des cliquetis de chaînes se font entendre.

 Dr de la Touchardière : (Tout bas en avancement prudemment, fouillant dans l’obscurité) La médecine est ma foi et la science est mon Dieu. Je ne crois pas aux malédictions.

 Un grognement se fait entendre. Le  docteur explore la scène  prés de l’endroit où est le drap noir. Des cliquetis de chaînes se font entendre.

 Dr de la Touchardière : (Plus fort que précédemment) La médecine est ma foi et la science est mon Dieu. Je ne crois pas aux malédictions. Où te caches-tu, imposteur ?

 La bête sort furtivement, bondissant hors de son abri comme un animal  et va se cacher en coulisses. Juste le temps de voir un homme vêtu d’une peau de bête et d’un masque de loup. Ses chaînes font un bruit lorsqu’il se déplace. Le docteur ne l’a pas vu mais l’entend. Il pose sa lampe à huile sur le sol et continue de chercher tenant fermement son bâton de marche dans sa main comme une arme.

 Dr de la Touchardière : Que viens-tu faire, maraud ? Pourquoi rôdes-tu chaque soir ? J’aurais une réponse cette nuit….La lune n’est pas pleine…Il n’y pas de loup-garou ici…Juste un brigand qui effraie les petits gens…où es-tu… ?

 Bruit de chaînes. Long Grognement.

 Dr de la Touchardière : Allons, fais un effort. Je suis sûr que tu sais parler.

 La bête bondit sur scène en grondant et prend une position animale près du Dr qui l’aperçoit enfin. Celui- ci lève son bâton et frappe sur le sol autour du loup-garou qui se met à crier. Comme un être humain.

Dr de la Touchardière : Un démon que ceci ? Plutôt un sale garnement ! Qui es-tu ? Enlève ce masque !


[1]Les chaises auront auparavant étés montées sur la table, avant que l’ensemble ne soit recouvert d’un drap noir Ainsi disposés, elles offrent une surface suffisamment ample pour qu’un comédien puisse se cacher derrière. 

--Pour le texte complet merci de me contacter---wilfrid.renaud@laposte.net